16.11.2024 – La danse des cimes
«La danse des cimes»
Un film de Dominique Margot
1. Synopsis
Nos Alpes reflètent les changements de notre civilisation. Les glaciers fondent, les sommets s’effritent. Après des années de tourisme de masse et d’exploitation, on assiste à un changement de paradigme vis-à-vis de ces montagnes. Celui-ci s’explique autant par des nécessités écologiques et économiques que par l’aspiration à préserver une nature intacte et sauvage ainsi qu’une société plus harmonieuse.
Dans son nouveau documentaire, la réalisatrice suisse Dominique Margot dresse ainsi le portrait de divers scientifiques, artistes et alpinistes qui abordent la montagne dans une approche nouvelle. Avec ces récits, les Alpes deviennent un terrain de création inspirant. « La danse des cimes » invite alors le public à un voyage fascinant à la découverte de ces géants mythiques au grand pouvoir d’attraction.
2. Note de la réalisatrice
L’aspiration actuelle à des « expériences de montagne » intenses, le désir collectif d’une nature idyllique et d’une aventure contrôlée sont en contradiction avec un monde devenu de plus en plus incertain. Comment pouvons-nous gérer l’offre de loisirs toujours plus importante, alors que nous savons déjà qu’elle a des conséquences négatives pour l’environnement ? S’agit-il de nous amuser une dernière fois, de céder à la panique ou bien plutôt d’essayer de trouver ensemble des solutions ?Quelles sont nos visions pour l’avenir des Alpes et, plus largement, de notre planète ?
Depuis l’industrialisation au moins, nous nous sommes éloignés de l’essence de la nature en nous efforçant de nous rendre maîtres. Aujourd’hui, nous en ressentons à nouveau clairement la formidable puissance, et ce en particulier dans les Alpes. Les montagnes, qui étaient autrefois le séjour des dieux et des démons, sont au cœur des changements qui affectent notre civilisation. Un lieu approprié pour repenser nos activités humaines et pour rechercher de nouvelles voies.
Les montagnes, que je percevais enfant comme des géants éternels et immobiles, et qui me donnaient un fort sentiment de sécurité, sont constamment en mouvement, du fait de l’érosion, du changement climatique, de la gravité. Elles rassemblent une énergie accumulée pendant des siècles.
Certains les considèrent même comme des êtres à part entière, issus d’une autre dimension temporelle. Des êtres dont nous ne pouvons pas percevoir tous les mouvements vivants en raison de notre courte durée de vie.
Les phénomènes naturels ont longtemps été associés aux intentions divines. Aujourd’hui, des chercheurs et des chercheuses, des artistes et des touristes s’y intéressent, chacun avec un regard différent. Bien qu’ils n’aient pas tous les mêmes intérêts, ils s’intéressent tous au « triangle de la montagne ». Avec ce film, je n’ai pas pour objectif de donner des réponses simples à des questions complexes, mais plutôt de proposer un champ d’expérimentation cinématographique qui stimule tous les sens et invite les spectateurs et les spectatrices à entreprendre un voyage dans le monde alpin et à la découverte d’eux-mêmes.
Dans le film, les protagonistes commencent dans la vallée et finissent en haut de la montagne. La guide de montagne Carla Jaggi atteint le sommet. Jakob Falkner, le propriétaire des remontées mécaniques, dont l’époque touche à sa fin, redescend la montagne dans « son » dernier plan.
Lors du choix des protagonistes, j’ai été particulièrement intéressée par leurs approches différentes des Alpes. Chacun et chacune représente une manière particulière d’explorer, d’utiliser et de vivre la montagne. C’est délibérément que j’ai laissé de côté la paysannerie de montagne. Avec les chorégraphies de danse, je voulais enregistrer les nombreux mouvements verticaux dans les montagnes et évoquer les mythologies alpines, sans pour autant les raconter de manière didactique.
La danseuse Chiharu Mamiya devient un personnage changeant entre rêve et réalité, et donc un élément de liaison entre les différents niveaux du film. Le fait qu’elle soit japonaise permet en outre de parler de manière subtile des masses de touristes présents dans les Alpes, dont certains sont venus de pays lointains. Le design sonore, la musique et les moments de silence thématisent ce qu’il y a d’ « indicible » dans le film, par exemple la recherche du sublime, le mysticisme des lieux de force des Alpes et la recherche de « l’essence des montagnes ».
Pendant le tournage, j’ai pu revivre les montagnes et observer les changements, tels que la fonte évidente des glaciers, de près et à travers les yeux des protagonistes. On est pris de vertige lorsque l’on voit comment les choses suivent leur cours là-haut, tout en ne faisant que refléter ce qui se passe plus bas. Malgré tout, les rencontres faites à l’occasion de ce film me donnent de l’espoir. Ou, pour le dire avec les mots de la botaniste, Erika Hiltbrunner : « Les plantes ne disparaissent pas simplement pas comme ça. Elles se transforment, se déplacent, s’adaptent ». L’avenir nous dira si nous, les humains, en sommes capables aussi.
Dominique Margot
3. Biographie de Dominique Margot
Dominique Margot a tourné plusieurs années avec le cirque rock français « Archaos » en qualité d’artiste lumière et vidéo, avant de terminer en 1999 ses cinq années d’études de réalisation à la Rimschule de Zurich. Ses documentaires « La longueur et la largeur du ciel » (1998), « Toumast – entre guitare et kalashnikov » (2010), « Looking like my mother » (2016) et « Zoom sur le cirque » (2020) ont été récompensés à plusieurs reprises.
4. Filmographie de Dominique Margot
2024 « La danse des cimes », film documentaire
2020 « Zoom sur le cirque », film documentaire
2016 « Looking Like My Mother », film documentaire
2010 « Toumast – entre guitare et kalashnikov », film documentaire
1999 « Love », court métrage
1998 « La longueur et la largeur du ciel », court métrage
5. Devant la caméra
Chiharu Mamiya, danseuse et chorégraphe, Japon et France
Chiharu Mamiya a étudié la danse classique à Sapporo, à Tokyo et à Cannes. En Suisse, mais aussi à l’international, elle a, en plus de ses activités de danseuse et de chorégraphe, collaboré avec plusieurs réalisatrices et réalisateurs pour des chorégraphies de films. Pour Dominique Margot, elle avait déjà créé, avant le tournage de « La danse des cimes » (2024), la chorégraphie des courts métrages « Zoom sur le cirque » (2020) et « Blackbox » (2017). Elle a également collaboré avec Cédric Marcelin en tant que chorégraphe pour les films « J’veux pas » (2021) et « Ma’-Interval » (2017), qui ont été présentés dans de nombreux festivals de films de danse.
Luc Moreau, glaciologue, France (Chamonix)
Depuis 30 ans, ce chercheur mesure les mouvements du glacier de l’Argentière, à proximité de Chamonix, et étudie les cours d’eau en constante évolution sous le glacier pour la centrale électrique d’Emosson. Les changements rapides de ces dernières années ont conduit Luc Moreau à une nouvelle compréhension de son métier. Le glacier lui sert, ainsi qu’à ses collègues, de modèle pour calculer les futurs mouvements des masses de glace au pôle Nord et au pôle Sud. Depuis 2002, Luc Moreau a installé sur de nombreux glaciers du monde entier des caméras qui en enregistrent le mouvement en accéléré. Il est impressionnant, dans le film, de voir les glaciers, et surtout les séracs, déplacer en accéléré. Le soulèvement et la chute constants et rapides des blocs de glace font penser à une chorégraphie de danse, qui se répète et en même temps semble se renouveler en permanence.
Carla Jaggi, guide de montagne, Suisse (Oberland bernois)
Carla Jaggi est montée sur des skis pour la première fois à l’âge de trois ans ; à quatre ans elle était accrochée à son premier baudrier et à onze ans elle pratiquait déjà l’escalade avec enthousiasme. La montagne est sa grande passion, même si son compagnon, un grimpeur expérimenté, a fait une chute mortelle sur la face nord de l’Eiger en 2022. Dans le film, elle lui rend visite avec son collègue Mario Heller en escaladant la montagne. La question d’arrêter ne s’est même pas posée pour la jeune femme. Mais il lui arrive de penser à la possibilité de mourir en montagne, cela oui. « Il y a toujours un risque », dit-elle. Sa relation avec la montagne est comme un feu de forêt. Tantôt, le feu prend sauvagement et dévore tout, tantôt il sommeille.
Mais il ne s’est jamais éteint. Carla Jaggi participe chaque été au projet « Girls on Ice Switzerland », qui se déroule sur le glacier de Findelen, près de Zermatt. En collaboration avec des chercheurs et des chercheuses, elle essaie d’initier des jeunes femmes de 15 à 17 ans à l’alpinisme et à la recherche scientifique sur le terrain et de les inciter à faire des études scientifiques.
Jakob Falkner, directeur général et copropriétaire de la société Bergbahnen Sölden. Co-
investisseur de l’Area 47 et du centre thermal Aqua Dome, Autriche (vallée d’Ötztal)
Jakob Falkner, qui aime la liberté, vit à l’hôtel cinq étoiles Central à Sölden et est un grand partisan de la fusion controversée des domaines skiables d’Ötztal et de Pitztal, qui passe par une réserve naturelle comprenant un glacier. Falkner est né dans la vallée, son père était déjà propriétaire de remontées mécaniques. Selon ses dires : « Je soutiens le tourisme à 100 pour cent : quelles seraient les alternatives ? Le dépeuplement ? L’arrêt des activités ? Un retour en arrière ? Ou serait-il préférable d’avoir beaucoup d’industrie ? Au contraire, nous ne parlons pas d’une vallée intacte, mais nous voyons qu’ici c’est aménagé, là c’est aménagé, et c’est tout. Je ne comprends donc pas que l’on dise : vous n’avez rien à faire là ». Il estime qu’il n’est pas prouvé que les glaciers reculent, car la nature est imprévisible. De plus, le domaine skiable prévu est situé très haut et ne nécessiterait que peu d’enneigement artificiel.
Claudio Landolt, musicien, Glaris
Musicien électro-acoustique, il a grandi au pied du Vorder Glärnisch. Il enregistre les sons de sa montagne natale, mesure ses vibrations et recherche l’essence de sa montagne en se déplaçant vers elle de l’extérieur vers l’intérieur avec ses appareils audio. Au début de son projet, on entend encore des avions, des bergers et des moutons. Plus il s’approche de la montagne, plus les bruits d’eau deviennent dominants. Jusqu’à ce que, plus loin à l’intérieur de la montagne, les bruits deviennent finalement de plus en plus abstraits. Claudio Landolt explique dans le film que la montagne se dissout quasiment et qu’elle finira par disparaître en tant que matière. Pour ses enregistrements, il collabore avec un géophysicien américain du nom de Jeff Moore, qui effectue des mesures sismologiques des montagnes dans le monde entier, notamment pour l’EPF de Zurich. Grâce à ces enregistrements, il parvient à la conclusion que le Vorder Glärnisch et les montagnes qui le jouxtent « dansent » ensemble : ils effectuent un mouvement léger et lent de droite à gauche et inversement, en deux temps.
Dr. Erika Hiltbrunner, biologiste, Bâle et Furka
Biologiste, elle dirige un laboratoire de recherche sur la flore alpine au col de la Furka. Elle étudie notamment comment les plantes recherchent de nouveaux sites du fait de la hausse des températures. Elle et son équipe ont par exemple constaté que, depuis quelques années, l’aulne vert se propageait de manière fulgurante, ce qui a des conséquences importantes pour l’homme et l’environnement. Un hectare d’aulne vert produit jusqu’à 60 kg d’azote par an. L’azote excédentaire s’échappe sous forme de gaz hilarant. Ce gaz est 300 fois plus nocif que le dioxyde de carbone (C02) et fait donc partie des gaz à effet de serre les plus agressifs. Les émissions de C02 de 10 000 kilomètres parcourus en voiture correspondent à la quantité de gaz hilarant qu’un aulne libère dans l’air pendant sa période de croissance. L’azote excédentaire est également lessivé sous forme de nitrates, acidifie les sols et se retrouve dans les ruisseaux et les rivières. Les chiffres montrent que les aulnaies consomment 20 à 25 pour cent d’eau de plus que les prairies ouvertes. En 2017, Erika Hiltbrunner a lancé un projet scientifique de pâturage avec 200 moutons d’Engadine, ce qui lui permet de lutter efficacement contre l’embroussaillement par les aulnes verts.
Jörg-Michael Janke, géomancien et spécialiste des êtres élémentaires, Vallée de Blenio
Jörg-Michael Janke, géomancien, 81 ans, vit dans la Vallée de Blenio, près du col du Lukmanier. Son visage ridé et ses yeux bleu clair témoignent de son expérience de la vie. Autrefois, il était ingénieur civil et dirigeait la plus grande société immobilière d’Allemagne. Après une expérience de mort imminente, il a décidé de changer radicalement de mode de vie. La science de la géomancie, avec laquelle il étudie aujourd’hui les valeurs de vie des personnes et des lieux à l’aide d’appareils comme une antenne H4 et un pendule, est considérée comme controversée. Mais en tant qu’ancien ingénieur, Jörg impressionne par son approche objective de l’étude et de la mesure des énergies invisibles ou des phénomènes inexplicables. « Nous sommes apparentés à la montagne par nos minéraux », dit Jörg-Michael Janke. « Tout comme nous ou comme les arbres, les montagnes communiquent entre elles en permanence. Elles sont reliées par des canaux de communication dans l’air, mais aussi par les canaux des rivières invisibles. Tout est illusion, même les montagnes qui nous entourent. Nous sommes divins, c’est ainsi que nous sommes conçus. Lorsque nous sommes attirés par les montagnes, nous cherchons la résonance avec le divin en nous. La confirmation de ce que nous sommes. C’est par elle que nous pouvons nous définir ».
Luigi Oreiller, gardien de parc à la retraite, Italie (Vallée d’Aoste)
D’abord braconnier et contrebandier, il a ensuite été garde du parc national italien « II Grande Paradiso » pendant quarante ans. Luigi Oreiller connaît chaque rocher, chaque animal et entend les chutes d’eau chanter. Cet habitant de la Vallée d’Aoste très terre à terre a développé une relation presque surnaturelle avec ses montagnes, il dit ne pas pouvoir supporter la plaine. Il a besoin des montagnes qui le retiennent dans le grand néant de ce monde. Luigi Oreiller raconte qu’il sait où les avalanches vont se produire grâce à l’observation du comportement des femelles bouquetins : si ces animaux disparaissent pendant des heures, il peut être sûr qu’une avalanche va survenir. Mais si leurs traces dans la neige sont fraîches, tant que l’on marche exactement dans leurs traces, la pente est sûre.
Pr. Jan Beutel, alpiniste et chercheur à l’EPF de Zurich
Avec ses doctorants, Jan Beutel, qui a grandi dans la vallée de Pitztal, en Autriche, a développé le projet « Permasense ». Ensemble, ils ont équipé les parois nord du mont Cervin de sismographes qui mesurent les vibrations des roches. Grâce à l’intelligence artificielle, les secousses perturbatrices telles que les alpinistes ou les hélicoptères sont filtrées et les données collectées sont envoyées directement à l’EPF. Actuellement, Jan Beutel et Jeff Moore lancent le prochain projet de recherche, qui consiste à mesurer les fréquences audio de la roche en temps réel, dans le but de comprendre les mouvements de la roche et de pouvoir prédire d’éventuels éboulements. Ils ont déjà constaté que la montagne émet en principe des fréquences sonores basses, mais que celles-ci diffèrent en altitude en été et en hiver. En outre, ils travaillent à l’aide des données sur une simulation permettant de rendre visible le mouvement subtil qu’effectue une montagne. D’autres mesures sont prévues au cours des prochaines années sur le mont Cervin, le Jungfraujoch et le Piz Cengalo.